Biographie de Pierre Riboulet
Par Catherine Blain
Pierre Riboulet naît à Sèvres le 20 juillet 1928. Originaire d’une famille de paysans de la Creuse, fils d’un peintre en bâtiment et petit-fils de maçon, il grandit dans un quartier populaire de Boulogne-Billancourt. En raison de ces origines, rien ne semble le destiner à une carrière d’architecte. Il la devra au soutien de sa famille qui, dès son plus jeune âge, encourage son goût pour l’école. Ayant obtenu son baccalauréat de Philosophie-Lettres à la Libération, il se dirige vers des études de philosophie avant de bifurquer vers l’architecture, à cause ou grâce à de ce père qui, ayant côtoyé l’architecte Michel Roux-Spitz sur ses chantiers, imagine pour lui d’autres horizons. En 1945, il entre donc à l’École nationale supérieure des beaux-arts, à l’atelier de Georges Gromort et Louis Arretche, dont il sortira diplômé en novembre 1952.
Dans le fil de premières expériences, il mènera dès lors une action engagée, d’abord au sein de l’Atelier de Montrouge (1958-1981) – en association avec Gérard Thurnauer (1926), Jean-Louis Véret (1927) et Jean Renaudie (1925-1981, qui quitte l’atelier en juillet 1968) – puis en son nom propre (1979-2003).
La création de l’atelier de Montrouge
La création de l’Atelier de Montrouge, en novembre 1958, est la conclusion logique d’un parcours qui, dès le début de ses études d’architecture, a orienté Pierre Riboulet vers les thèmes de préoccupation du Mouvement Moderne d’après-guerre – tel le « logement pour le plus grand nombre » et le droit de l’homme à un habitat décent – et soudé son amitié avec Thurnauer et Véret. Durant leurs années de formation, tous trois s’attachent à enrichir l’enseignement de Gromort et Arretche – qui leur inculque la connaissance de la Renaissance italienne et les règles de la composition classique – par un savoir parallèle, acquis pour partie auprès d’éminents professeurs tels Jean Wahl et Maurice Merleau-Ponty ou Pierre Francastel mais, aussi, par une lecture attentive des réalités du monde extérieur. Leur complicité s’affirme à l’occasion d’un voyage en Afrique (1949-1950) où, au service d’urbanisme du Maroc, ils rencontrent l’architecte Michel Écochard – qui leur inspire leur sujet de diplôme commun (université de Fès, Prix du meilleur diplôme 1952) et, surtout, les introduit au sein des Congrès internationaux d’architecture moderne (CIAM). Frais émoulus architectes, en marge de premières collaborations (Pierre Riboulet entre alors à l’agence de Pierre Colboc), ils affirment leur appartenance à ce mouvement en fondant le groupe CIAM-Paris qui, réunissant quelques jeunes architectes ou ingénieurs proches de Le Corbusier, présentera une contribution remarquée sur les conditions d’habitat de Boulogne-Billancourt lors du 9e congrès d’Aix-en-Provence (1953). Privilégiant dès lors la réflexion collective et pluridisciplinaire, ils posent ensuite les jalons de leur association. En 1954, alors que Véret se charge des chantiers de Le Corbusier à Ahmedabad (1952-1955), Riboulet et Thurnauer participent d’abord, avec quelques membres du CIAM-Paris, à la création de l’atelier ATIC — Atelier d’industrialisation de la construction qui, placé sous l’égide du constructeur Jean Prouvé, répond à l’appel de l’abbé Pierre par un ensemble de logements économiques à Argenteuil (1954-1955) — avant de s’allier à l’action pakistanaise d’Écochard, qui les associe alors à une première commande d’importance : la nouvelle université de Karachi (1955-1958). L’élaboration de ce projet, au sein de l’atelier parisien d’Écochard, avec la participation de Renaudie (rencontré en 1956) et la connivence de Véret, permet de mesurer les convergences de vues de l’équipe : la création d’un atelier commun s’impose ainsi à l’évidence.
Pendant plus de vingt ans, l’Atelier de Montrouge développera une démarche spécifique. Alliant intimement architecture et urbanisme, tenant compte de la réalité des contextes (social, bâti) et des programmes, celle-ci se caractérise par sa dimension éthique. Entre 1958 et 1968, alors que s’érigent les grands ensembles et que sont radicalement transformées les villes existantes, l’équipe affiche une attitude réservée, prônant une autre modernité – solution médiane entre la table rase et la nostalgie du passé, entre l’acte héroïque et la banalité. Par conséquent, elle construit peu. Ses premières réalisations, aux accents parfois brutalistes (matériaux nobles laissés à l’état brut, vérité constructive, attention infime aux détails) – telles le village de vacances « Le Merlier » (Cap Camarat, 1959-1965) et la bibliothèque pour enfants « La Joie par les Livres » (Clamart, 1962-1966), l’ensemble de logements de fonction EDF (Ivry-sur-Seine, 1963-1967) et le centre administratif EDF (Issy-les-Moulineaux, 1960-1974) – en sont d’autant saluées. Ce petit laboratoire d’idées se distingue aussi par le sérieux de sa réflexion urbaine, dont atteste entre autres la série d’études développées en association avec Louis Arretche dans le Var, dans la région rouennaise et à Paris (comme le projet de résorption du bidonville des Francs-Moisins, 1964-1965) mais, surtout, les recherches pour la ville nouvelle du Vaudreuil (1967-1978), dont l’apport au niveau théorique est considérable. Un certain nombre de projets de la seconde période de l’Atelier (1968-1981), portés par la même volonté de mettre en œuvre un cadre de vie différent, se démarqueront également – comme les projets de Centre éducatif et culturel « Les heures claires » (Istres, 1970-1976) et de l’Arche Guédon de Noisiel (1973-1983), qui marquent une innovation tant au niveau programmatique qu’au niveau de la valeur d’usage conféré aux espaces.
Si le parcours des architectes de Montrouge est exemplaire, c’est que ces derniers affichent souvent leur position d’intellectuels engagés en dehors du strict cadre de l’atelier. Ainsi, au milieu des années soixante, ils participent aux débats du Cercle d’études architecturales (fondé par Auguste Perret en 1951). De même, portés par le mouvement contestataire de Mai 1968, ils rejoignent ou instaurent des instances ou groupements militants. Alors que Thurnauer fait partie de différentes structures de réflexion interministériels, Pierre Riboulet conforte son action en fondant d’abord, avec Véret en 1969, le groupe pluridisciplinaire « Environnement M68 » – dont l’objectif est la rédaction d’un Livre blanc sur le logement social (1969-1972) –, puis en participant à la création de la revue Espaces et sociétés, lancée en 1970 par Henri Lefebvre et Anatole Kopp (revue à laquelle s’associent entre autres Bernard Archer, Manuel Castells, Raymond Ledrut et Alain Médam). Cette collaboration ravive par ailleurs son intérêt pour la réflexion théorique : entre 1971 et 1979, il en renouvelle donc les assises en suivant une formation à l’université Paris VIII-Vincennes, sous l’égide de Nicos Poulantzas – licence puis maîtrise de sociologie (Espace et classes sociales : une enquête populaire sur les conditions de logement dans la banlieue parisienne, 1975), couronné par un doctorat d’État ès Lettres et Sciences humaines (Architecture et classes sociales en France, 1979).
L’œuvre individuelle
L’œuvre individuelle de Pierre Riboulet s’inscrit dans le droit fil de ces expériences, collectives ou plus personnelles. Ouvrant son agence parisienne en 1979, il prolongera sa recherche durant plus de vingt ans en mariant deux actions complémentaires, l’une publique, l’autre plus privée, se fédérant l’une l’autre. Ainsi, d’une part, il a à cœur de contribuer au débat d’idées, en assurant notamment un cours de composition urbaine de 1980 à 1997 à l’École Nationale des Ponts et Chaussées (synthétisé dans son ouvrage Onze leçons sur la composition urbaine, 1998), en participant à de nombreuses rencontres et journées d’études ou, encore, aux travaux de différentes instances administratives (ainsi, en 1988, il est membre du conseil d’administration de la Fondation Le Corbusier et de l’Institut français d’architecture). D’autre part, il mène une activité de création personnelle, soutenue par une petite équipe de fidèles collaborateurs avec laquelle il entretient une relation complice.
Sa production comporte pour l’essentiel de grands programmes d’équipements publics, obtenus par la voie des concours : une trentaine d’hôpitaux, bibliothèques ou équipements d’enseignement. Chaque fois, ces projets s’illustrent par l’attention accordée aux sites et aux programmes, à la composition architecturale et au bien-être des usagers.
La première commande – et première grande œuvre de Riboulet, dont il raconte la genèse dans son ouvrage Naissance d’un hôpital (1988) – est l’hôpital pour enfants Robert-Debré (Paris 19e, 1980-1988). La justesse de la réponse apportée, tant au niveau de l’intégration de l’équipement dans la ville que de sa conception, fait l’unanimité. Dans cette veine de constructions hospitalières suivront le bâtiment « Tête » de l’hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris 13e, 1988-1996) et l’hôpital pour la Mère et l’Enfant Paule-de-Viguier à Toulouse (1995-2003). D’autres réalisations – comme le Conservatoire de musique et de danse d’Évry (1984-87), l’Institut français d’urbanisme (Marne-la-Vallée, 1989-1991), la Faculté des sciences économiques de l’Université Paris XII (Créteil, 1998-2001) et, plus récemment, le Lycée Le Corbusier (Aubervilliers, 1997-2003) – témoignent par ailleurs de son attachement aux lieux d’enseignement. Enfin, son rapport intime aux livres et son respect des lieux de connaissance s’expriment dans trois œuvres majeures, d’une architecture épurée, dont le principal matériau est la lumière : la bibliothèque multimédia de Limoges (1993-1998) et les bibliothèques de l’université Paris VIII (1991-1997) et de l’université Toulouse-Le Mirail (1997-2003). A l’occasion d’un de ses derniers concours, celui de la bibliothèque de Milan (2001), il aura en outre rappelé la l’importance symbolique de ce type de programme, « aussi bien pour la ville que pour la société en général ».
L’échelle urbanistique
En marge de ces grandes réalisations, la réflexion de Riboulet se développe également à l’échelle urbanistique. Fréquemment appelé comme conseil, à Paris comme en province, il se charge souvent d’études urbaines de grande ampleur, en prise avec le problème de reconversion d’anciennes zones industrielles. Parmi ces études figurent notamment celle pour le réaménagement du secteur de la Plaine Saint-Denis (1990-1994) — développé au sein de l’association Hippodamos 93 (avec Michel Corajoud, Yves Lion, Bernard Reichen et Jean-Paul Robert), dans le fil d’une réflexion sur l’aménagement du quartier Le Marcreux à Aubervilliers (1989-1995) — ainsi que des recherches pour l’aménagement de la presqu’île portuaire de Caen (1991-1993) et pour le Plan directeur d’Euroméditerranée à Marseille (1996-1997).
Au cours des ans, il aura eu finalement peu d’occasion de concrétiser sa recherche en matière de logements. L’attention infime accordée à ces programmes se révèle toutefois au sein de quelques réalisations, comme l’immeuble de logements HLM à Saint-Cyr-l’École (1984-1988 ; lauréat du Palmarès de l’habitat en 1990), l’Espace du Palais à Rouen (1989-1994) et l’ensemble d’habitation de la rue Balard (Paris 15e, 1988-1994), qui recomposent des îlots du centre historique et de la ville traditionnelle, ou encore l’immeuble de l’avenue du Général Michel-Bizot (Paris 12e, 1993-1997), qui s’intègre élégamment au tissu urbain existant. Plus récemment, dans le cadre de trois projets de reconstruction d’ensembles de logements des années 1960 – dans le 19e arrondissement à Paris (îlot Fougères, 1994-1997) et à Saint-Denis (projets en cours des cités Chantilly, 1997 et Double couronne, 2000) – Pierre Riboulet aura par ailleurs réaffirmé les fondements de sa démarche, consistant, d’une part, à tenir compte du point de vue des habitants et, d’autre part, à favoriser la recherche collective afin de donner au cadre bâti ses qualités d’unité et de diversité.
Ces derniers temps, il aura eu à cœur de passer la main à d’autres, en confiant à ses collaborateurs la réalisation des derniers projets pour l’entreprise Colas ou, encore, en s’associant avec Bruno Huerre pour les projets de médiathèques d’Antibes et de Viroflay (en cours). C’est, là encore, une attitude fidèle à l’éthique de cet homme modeste, exigeant quant aux thèmes sur lesquels il souhaitait intervenir.
Pierre Riboulet est décédé à Boulogne-Billancourt le 21 octobre 2003.
Les distinctions
Prix du Cercle d’Etudes Architecturales (1965, avec l’ATM)
Grand Prix National d’Architecture (1981, avec l’ATM)
Médaille de l’Académie d’Architecture (1988)
Lauréat au Palmarès de l’habitat (1990)
Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur (1990)
Officier de l’Ordre National du Mérite (2002)
Les collaborateurs de l’agence
Parmi les collaborateurs de Pierre Riboulet, ayant participé à l’activité de l’agence ainsi qu’à l’élaboration des différents projets, des premières études à la livraison, se sont notamment côtoyés : Patricia Galéa (assistante de direction), Christine Papas (documentaliste), Rodica Botez, Roland Gottfrois et Roger Sapin (dessinateurs), Laure Béchir, Jean-Bernard Bethgnies, Gérard Blanc, Cédric Chazottes, Dimitri Chpakovski, Serge Clavé, Soisick Cléret, Gilles Cohen, Emmanuelle Colboc, Florence Crépu, François Duhoux, Michel Ferranet, Bruno Huerre, Frédérique Keller, Jean-Yves Lanoue, Stéphanie Leclair, Alexis Leduc, André Mao, Alexandre Ménasé, Malcom Nouvel, François Picard, Nathalie Régnier, Bruno Rollet, Sylvie Salles et Xiaolin Zhang (architectes).
Autour de l’œuvre
Spazi urbani pacificati
Luciana Miotto, Pierre Riboulet, Spazi urbani pacificati, Ed. Testo & Immagine, coll. « Universale di architettura » (sous la direction de Bruno Zevi), Turin, 2000.
Carnet de croquis
Jean-François Pousse, Pierre Riboulet, Éditions de l’Épure, coll.« Carnets de croquis », n° 6, Paris, 1994, 119 p.